Pourquoi la plupart des formations ne sont pas efficaces (et comment y remédier) 🌀
extraction #67

Bonjour à toutes et à tous 👋
Depuis vendredi, je reprends mon rythme de vie bruxellois après deux semaines intenses à Montréal. Le symposium scientifique sur le design pédagogique a été un réel succès, et ce séjour a été l’occasion d’avoir 1001 discussions informelles qui ont alimenté mes réflexions. Nous ne sommes pas encore au clair, avec Laura et David, sur le futur du LXD Lab – parce qu’il faut choisir sur quoi s'investir, faute de temps illimité, et que choisir c’est renoncer –, mais nous vous communiquerons bientôt les premiers résultats de notre enquête sur les usages des méthodes et outils du design en conception pédagogique.
En parlant de design, vous avez été nombreuses et nombreux à réagir à la dernière édition en me demandant : “J’aime beaucoup cette approche de design thinking, mais comment convaincre mes collègues ?” Certain·es ont été plus direct·es : “Pourquoi changer nos méthodes de formation, ou de conception pédagogique, si elles fonctionnent depuis des années ?"
Et là, je me suis dit : "Aïe, j'ai raté un truc !" Je vous ai partagé “comment” rendre les formations plus engageantes, avant d’évoquer le “pourquoi”… Donc cette semaine, je corrige le tir et je vous propose l’article que vous auriez dû lire avant le précédent !
Au programme :
Pourquoi tant de formations échouent à engager leurs participant·es (spoiler : ce n’est pas juste de la malchance...)
Les sept écueils majeurs des formations traditionnelles
Comment l'innovation pédagogique devient une nécessité face à l'évolution des pratiques d'apprentissage
Et bien sûr, comment le design thinking offre des pistes dans ce contexte
Je partage ici des réflexions "en cours" qui alimentent le livre que je suis actuellement en train d'écrire. Vous retrouverez probablement des idées déjà partagées dans des éditions précédentes. Elles évoluent au fil de mes recherches, de mes rencontres, et j'aimerais vraiment que vous les enrichissiez par vos retours, expériences et perspectives. Ça peut se faire dans la section “commentaires” de l’article, ou en réponse directe à cet e-mail.
Bonne lecture,
Nicolas.
✊ L'article de cette semaine est écrit au féminin. Pour rappel, si j'opte pour l'écriture inclusive dans l'édito, j'ai choisi qu'un article sur deux serait écrit au féminin. L'idée est de simplifier la lecture, tout en conservant des considérations sociales et politiques qui me sont chères.
Pourquoi la plupart des formations ne sont pas efficaces (et comment y remédier)
⏱️ Temps de lecture : 16 minutes
Sur toutes les formations que vous avez suivies dans votre carrière, combien vous ont vraiment transformée ? Combien ont révolutionné vos pratiques professionnelles au point de clairement identifier un "avant" et un "après" ? Et surtout, de combien d'entre elles vous souvenez-vous encore des enseignements clés, là, maintenant, sans réfléchir ?
Soyons honnêtes : vous les comptez probablement sur les doigts d'une seule main. Et encore... peut-être même pas tous les doigts !
C'est non seulement frustrant pour les participantes, mais carrément alarmant pour les organisations qui investissent temps, énergie, argent et ressources dans ces formations.
Certaines d'entre vous se disent probablement que ce constat est exagéré, parce "qu'on a toujours fait comme cela" et que, globalement, "ça fonctionne". En effet, depuis la nuit des temps, des expertes ont transmis des connaissances à des novices supposément avides d'apprendre – quoique souvent obligées par leur hiérarchie ou leur entreprise à se former.
Les choses sont en train d'évoluer : à un moment où le développement des compétences tout au long de la vie devient un enjeu essentiel pour les individus comme pour les organisations, les premières font de moins en moins confiance aux secondes en matière de développement de leurs compétences1.
Le monde est en train de changer... et il ne nous attend pas !
Je l'observe quotidiennement dans mes missions de conseil : les organisations traversent une période d'accélération sans précédent. Ce qui me frappe, c'est la compression des cycles d'innovation. Ce qui prenait autrefois des années s'accomplit maintenant en quelques mois.
Cette accélération change le rapport à la formation. Et les entreprises oscillent entre deux stratégies :
Certaines optent pour un renouvellement permanent de leurs équipes (avec les coûts et les perturbations que cela implique).
D'autres – plus visionnaires à mon sens – choisissent d'investir dans le développement continu des compétences de leurs collaboratrices. Elles augmentent les compétences existantes des employées pour suivre l'évolution de leur métier – l'upskilling – ou les aident à acquérir de nouvelles compétences pour changer de métier – le reskilling.
Dans tous les cas, il n'est plus possible de se reposer sur les acquis d'une formation initiale. Les employées doivent développer de nouvelles compétences pour appréhender les évolutions de leur métier. Une forme d'obsolescence des compétences se combine à la nécessité d'en développer de nouvelles.
Cela bouscule un peu la perception des formations : elles passent du statut de commodité à celui de nécessité.
Pourtant, la formation ne change pas et devient inefficace
Le monde de la formation peine à s'adapter à ces changements sociétaux, aux innovations technologiques et aux nouvelles pratiques d'apprentissage.
Vous souvenez-vous de votre dernière formation ? Si c'était en présentiel, vous étiez probablement dans une salle organisée comme une classe d'école avec une formatrice en train de parler devant son PowerPoint et, au mieux, de vous poser quelques questions. Peut-être, par chance, avez-vous eu droit à quelques exercices ou même un jeu de rôle ? Si cela se déroulait à distance, il s'agissait probablement de quelques heures d'exposé sur Zoom ? Ou peut-être d'une série de vidéos complétées par une longue liste de questions à choix multiples ?
Cette description est, certes, caricaturale. Mais avouez qu'elle vous parle, non ?
À travers les formations que j'ai suivies et les centaines d'entretiens menés avec des apprenantes en formation professionnelle ces sept dernières années, j'ai eu l'occasion de dégager une série de caractéristiques qui nuisent à l'engagement des participantes et influencent négativement les apprentissages.
Avant de me lancer dans cette liste, il faut que nous puissions nous entendre sur la définition de l'efficacité. Je pourrais vous parler des modèles bien connus comme ceux de Kirkpatrick ou de Thalheimer. Je vais, pour cet article, utiliser une définition bien plus simple de l'efficacité d’une formation : une formation efficace permet d'engager ses participantes.
Cela demande alors de définir le concept d'engagement : l'engagement est compris comme le déclenchement de l'action, la quantité d'effort et la qualité de la persistance face aux tâches d’apprentissage, tout autant que l'état émotif de l'apprenante. Nous pouvons distinguer trois composantes à l'engagement :
Comportementale, c'est-à-dire la participation effective de l'apprenante et sa persévérance dans la formation
Cognitive, c'est-à-dire sa capacité à développer des stratégies d'apprentissage pertinentes, et donc à apprendre.
Affective liée au plaisir qu'elle prend dans la formation.
Cette définition étant posée, allons découvrir les caractéristiques des "formations traditionnelles" qui ne stimulent pas cet engagement. Et vous allez découvrir que ce n’est pas uniquement du ressort des formatrices.
Les sept écueils des formations traditionnelles
1. Les formations traditionnelles proposent un apprentissage passif
La plupart des formations provoquent l'ennui, car la participante est passive – sur le plan comportemental, cognitif comme affectif. Et si elle est passive, elle n'apprend pas.
J'ai assisté à tellement de formations où je me suis moi-même surpris à commencer à penser ou à faire autre chose. Comme le dit Stanislas Dehaene, neuroscientifique spécialisé en psychologie cognitive, dans son ouvrage Apprendre :
"Le principe directeur est on ne peut plus clair : un organisme passif n'apprend pas. On recherchera donc un engagement actif. L'enseignante ne peut mobiliser que si l'enfant ou l'apprenante se mobilisent. Or, sans tester la fiabilité d'une connaissance, on restera dans une illusion de savoir."
Pour apprendre, il est d’abord essentiel de savoir que l'on ne sait pas pour ensuite d'avoir une expérience d'apprentissage actif, c'est-à-dire de construction du savoir.
Ainsi, une participante confrontée à des exercices sur ses connaissances préalables ou à une expérimentation préliminaire sera plus impliquée dans la suite d'un parcours. C'est une des bases du constructivisme en pédagogie que peu de formations mobilisent.
Ensuite, il importe de mobiliser une approche qui place l'apprenante non comme simple réceptrice de savoir, mais comme actrice principale de son apprentissage. Dans cette perspective, la formatrice devient davantage une facilitatrice qui propose des situations-problèmes, des défis concrets à résoudre ou des projets à mener. L'apprenante est ainsi amenée à manipuler l'information, à expérimenter, à collaborer avec ses pairs et à réfléchir sur ses propres processus d'apprentissage. En stimulant la curiosité et en donnant du sens aux apprentissages, la pédagogie active transforme l'effort cognitif en une expérience engageante qui renforce la mémorisation à long terme et développe l'autonomie de l'apprenante.
2. Les formations traditionnelles sont "one size fits all", "just in case" et rarement "just in time"
En passant de "learnability" à "extraction", je m'étais promis de réduire les anglicismes, donc je vous les glisse tous à la suite.
Les formations traditionnelles proposent du "one size fits all", c'est-à-dire un format standard délivrant la même expérience à toutes les participantes. Elles ne tiennent pas compte des différences individuelles pour adapter les activités de formation, ne cherchent pas à proposer les bons grains de savoir, savoir-faire et savoir-être en fonction des profils et n'adaptent pas les formes d'évaluation aux besoins. Nous en avons largement parlé avec Jérôme et Lionel dans deux épisodes récents de "C'est quand la pause ?" : "La formation sur étagère" et "Individualisation de la formation : jusqu'où peut-on aller ?".
Elles sont également "just in case" : les formations organisées dans les organisations sont souvent proposées dans une logique "au cas où", sans nécessairement présenter aux personnes l'intérêt par rapport à leurs activités professionnelles ou leur évolution de carrière. Cette tendance se renforce en Belgique comme en France avec la nécessité que chaque collaboratrice suive annuellement un nombre d'heures de formation.
Enfin, ces formations sont rarement "just in time", c'est-à-dire proposées juste au bon moment où une personne a besoin de développer une compétence. Se former relève souvent du parcours de la combattante : plusieurs mois peuvent s'écouler entre l'identification d'un besoin et le moment de la formation.
3. Les formations traditionnelles sont des événements ponctuels
Les décisions qui guident la conception des formations sont plus souvent influencées par la facilité logistique ou les contraintes temporelles que par la pertinence du dispositif pour le développement des compétences. Ces formations sont pour la plupart :
Des ateliers en présentiel d'une ou deux journées.
Des sessions de webinaire en ligne.
Des contenus sur étagère disponibles sur des plateformes.
Pourtant, apprendre une nouvelle compétence ne se fait pas en quelques heures. L'apprentissage est un parcours avec un point de départ – différent en fonction de l'expérience et des compétences des participantes –, une multiplicité d'occasions d'acquérir des savoirs, savoir-être et savoir-faire, des moments de rappel pour ancrer les apprentissages, des possibilités d'appliquer à son contexte et d'obtenir des retours pour s'améliorer, des sessions pour confronter son expérience à celle des autres, etc.
Prenons la conduite ou la cuisine comme exemples de la vie quotidienne, pensez-vous qu'une session d'une demi-journée offre la possibilité de développer ces compétences durablement ? Pourquoi en serait-il autrement pour la gestion de projet, la conduite de réunion ou d'autres compétences professionnelles ?
4. La formation professionnelle a été calquée sur le modèle scolaire
Même si des "formatrices" remplacent les "professeures", les participantes sont considérées comme des "non-sachantes" qui doivent les écouter – attentivement – pour acquérir des savoirs. La plupart d'entre nous avons fait cette expérience.
Certes, le tableau noir est souvent remplacé par un PowerPoint, mais le modèle transmissif reste prédominant. Et surtout, l'adulte apprend selon des modalités distinctes de celles de l'enfant.
Ce qui caractérise véritablement l'apprentissage adulte, c’est :
Une aspiration à l'autonomie – "Je souhaite diriger mon propre parcours d'apprentissage".
Une recherche de pertinence immédiate – "Comment ceci s'appliquera-t-il à ma situation professionnelle dès demain ?".
Un réservoir d'expériences à valoriser – "Mon vécu professionnel constitue déjà une base solide pour alimenter cette formation".
Une motivation ancrée dans les enjeux présents – "Je suis ici pour résoudre des problématiques concrètes".
Qui n'a jamais ressenti une certaine impatience pendant qu'une formatrice développe des concepts théoriques sans lien apparent avec nos besoins ?
Une formation pour adultes efficace devrait :
Instaurer un environnement respectueux qui reconnaît l'expertise de chacune.
Intégrer les apprenantes dans la conception même du processus d'apprentissage.
Se fonder sur des situations réelles et non des exemples décontextualisés.
Favoriser l'expérimentation active plutôt que l'exposition passive à des contenus.
Alors, ces principes fondamentaux sont-ils véritablement pris en compte dans la conception des formations actuelles ? La réponse, que nous connaissons toutes, mérite réflexion.
Car en définitive, les adultes que nous sommes ne demandent qu'à apprendre – mais selon des modalités qui respectent nos spécificités. Et cette nuance change considérablement la donne.
5. Les formations traditionnelles sont orientées sur le "quoi" plutôt que sur le "comment"
Lorsque des participantes s'engagent dans une formation, leur objectif est souvent de développer des compétences nécessaires à la réalisation d'activités professionnelles ou personnelles. Elles aspirent à enrichir leur expertise et à progresser, considérant la formation comme un levier de développement.
Pourtant, la majorité de ces formations, même celles qui se veulent pratiques, accordent une importance prépondérante aux contenus théoriques. Cette approche ne répond pas aux besoins réels des apprenantes, qui ne peuvent véritablement évoluer en se limitant au "quoi".
Pour qu'une formation soit véritablement transformative, elle doit intégrer :
Le "pourquoi" : l'apprentissage ne s'ancre que s'il fait sens pour l'apprenante.
Le "comment" : les modalités concrètes d'application des compétences dans un contexte spécifique.
Le "et si" : l'exploration des adaptations possibles face à de nouvelles situations.
Ces éléments constituent la pierre angulaire d'un apprentissage efficace. Pourtant, de nombreux dispositifs de formation négligent cette dimension essentielle. Ils se concentrent excessivement sur l'accumulation de savoirs théoriques. Lorsqu'ils abordent effectivement le "comment", les méthodologies proposées demeurent souvent génériques, insuffisamment adaptées aux réalités professionnelles spécifiques des participantes.
Cette déconnexion entre théorie et application concrète entrave considérablement le processus d'apprentissage. Sans opportunités structurées de mise en pratique contextuelle, les apprenantes ne peuvent transformer les connaissances acquises en compétences opérationnelles. Le potentiel transformatif de la formation reste ainsi largement inexploité.
6. Les formations traditionnelles laissent l'apprenante face à elle-même
En tant qu'apprenante, vous participez à une formation. Mais à quel moment l'apprentissage véritable se produit-il réellement ? À quel instant activez-vous consciemment les mécanismes cognitifs nécessaires pour sélectionner l'information pertinente, l'organiser mentalement et la consolider dans votre mémoire à long terme ? Quand avez-vous l'occasion d'expérimenter vos nouvelles compétences et de recevoir un retour constructif sur celles-ci ? Probablement jamais.
L'apprentissage ne résulte pas simplement de la présence passive à une formation. Il requiert l'activation délibérée de stratégies cognitives pour :
Identifier et extraire les informations essentielles.
Se les approprier en les reliant à ses connaissances préexistantes.
Consolider ces savoirs par des techniques de mémorisation adaptées.
Transférer ces apprentissages à son contexte professionnel spécifique.
Ce processus exige également des stratégies métacognitives substantielles : planification de son apprentissage, surveillance de sa progression, ajustement de ses stratégies selon les difficultés rencontrées. J'ai pu constater que sans ces compétences d'autorégulation, l'efficacité de l'apprentissage diminue considérablement.
Paradoxalement, la structure même de nombreuses formations ne favorise pas le développement de ces compétences essentielles : apprendre à apprendre, et apprendre à réfléchir à ses apprentissages.
L'apprenante se retrouve souvent isolée avec toute une série d’informations à s’approprier. Les interactions avec la formatrice se limitent généralement au temps présentiel, sans suivi personnalisé ultérieur. Les échanges entre pairs, pourtant catalyseurs d'apprentissage, sont fréquemment restreints à quelques activités ponctuelles.
Résultat : celles qui peuvent se débrouiller en autonomie réussiront à s'approprier plus ou moins bien les savoirs, savoir-faire et savoir-être d'une formation. Les autres apprendront peu, mal ou de manière superficielle.
7. Les formations traditionnelles ne s'appuient pas sur le collectif
L'interaction entre pairs constitue un élément fondamental du processus d'apprentissage. Comme l'exprimait judicieusement Philippe Carré en 2005, "On apprend toujours seul, mais jamais sans les autres". Les échanges avec d'autres apprenantes favorisent l'émergence d'un conflit socio-cognitif, véritable accélérateur d'apprentissage pour plusieurs raisons essentielles :
La décentration : la confrontation à des perspectives différentes permet de reconsidérer ses représentations initiales et d'enrichir sa compréhension du sujet.
L'enrichissement informationnel : les interactions incitent au partage des connaissances individuelles et à l'explicitation des raisonnements, créant un patrimoine collectif de savoirs.
Le renforcement motivationnel : la dynamique interpersonnelle génère un environnement intellectuellement stimulant où chaque participante se trouve davantage impliquée dans le processus d'apprentissage.
Cette dimension sociale de l'apprentissage correspond d'ailleurs aux préférences exprimées par les apprenantes elles-mêmes. L'analyse des modalités privilégiées révèle que l'apprentissage collaboratif est significativement plus apprécié que les démarches solitaires.

Pourtant, à cause de raisons organisationnelles, logistiques ou même pédagogiques, rares sont les formations qui sont conçues autour d'activités d'apprentissage qui mobilisent l'apprentissage par les pairs et favorisent le conflit socio-cognitif.
L'innovation pédagogique devient une nécessité
"Pourquoi maintenant ?"
C'est probablement la question que vous vous posez : "Ces écueils des formations dites traditionnelles ont été relevés depuis longtemps. Pourquoi est-ce si important d'innover maintenant ?"
Parce que les pratiques d'apprentissage sont, elles aussi, en train de changer et que les personnes, comme je vous le disais au début de cette édition, font de moins en moins confiance aux formations traditionnelles pour développer leurs compétences.
Vous en êtes probablement la preuve !
Prenez quelques secondes de réflexion… En identifiant les trois derniers savoirs, savoir-faire ou savoir-être que vous avez acquis ces dernières semaines et qui vous sont utiles dans votre contexte professionnel, posez-vous la question suivante : quelle était la modalité ?
[A] Formation formelle : formation en salle, cours en ligne obligatoire, etc.
[B] Formation informelle : apprentissage par un collègue, lecture d'un livre ou article, visionnage d'une vidéo, écoute d'un podcast, etc.
Je serais surpris que quelqu’un aligne une série de “A”.
Mon but, à travers cette question, est de montrer que ces dernières années, les pratiques d'apprentissage en contexte professionnel ont évolué.
L'accès à la connaissance n'a jamais été aussi facile grâce à Internet : il est possible de (quasi) tout apprendre, (quasi) n'importe où, grâce à (quasi) n'importe quelle modalité.
Différents rapports montrent que les collaboratrices passent plus de temps à se former entre collègues, ou auprès de cadres et manageuses qu'en participant à des programmes de formation en présentiel ou en ligne.

Les ressources externes non institutionnelles – vidéos YouTube, formations en ligne, livres, podcasts, etc. – sont aussi de plus en plus plébiscitées. Si bien qu'en moyenne, une collaboratrice se forme 27 minutes par semaine par le biais d'une formation proposée par son entreprise et 3 heures 30 par semaine en autonomie – pour des compétences professionnelles.

La cause de ces nouvelles pratiques ? Les collaboratrices font, par l'expérience, les mêmes constats que ceux énoncés ci-dessus : des formations peu pratiques, qui ne sont pas proposées au bon moment, ne répondent pas à leurs besoins, etc.
Dès lors, elles tendent vers des activités d'apprentissage intégrées dans le flux de travail : demander à une collègue / manager / ressource externe la manière de résoudre un problème direct plutôt que de suivre une formation.
Vous pourrez remarquer que cette modalité évite tous les écueils mentionnés précédemment :
Elle est ancrée dans la réalité.
Elle propose un apprentissage actif.
Elle se réalise au moment où l'individu en a besoin.
Elle se fonde sur l'expérience de l'individu.
Elle s'attaque au comment (plutôt qu'au quoi).
Elle propose un apprentissage par les pairs.
Au final, il en résulte une perception que les services de formation rencontrent de réelles difficultés à répondre aux besoins des apprenantes.
Les organisations se trouvent dès lors confrontées à un double défi : utiliser la formation comme levier de transformation pour maintenir leur compétitivité et leur capacité d'innovation, tout en réussissant à engager les collaboratrices dans de nouvelles expériences d'apprentissage pour développer leurs compétences.
Le design thinking : une solution pour créer des formations enfin efficaces
Face aux défis décrits précédemment, le design thinking offre une approche différente pour concevoir des formations, capable d'éviter – en bonne partie – les écueils identifiés.
Comprendre avant de concevoir
La première phase du design thinking consiste à développer une empathie profonde avec celles qui vivront l'expérience d'apprentissage. Ce n'est pas simplement recueillir des données démographiques ou organiser un focus group rapide. Il s'agit d'aller plus loin pour comprendre véritablement :
Les besoins professionnels réels des apprenantes.
Leurs frustrations actuelles (ce qui les bloque vraiment).
Leurs aspirations professionnelles (où veulent-elles aller?).
Leurs contraintes quotidiennes (qu'est-ce qui les empêche d'apprendre?).
Leurs modalités d'apprentissage préférées.
J'ai souvent découvert, lors de cette phase d'empathie, des obstacles invisibles aux yeux de l'organisation commanditaire, mais cruciaux dans la perspective des apprenantes. Sans cette compréhension profonde, même les plus meilleures formations sur le plan pédagogique peineront à engager les participantes.
Co-créer pour engager
Le design thinking est fondamentalement collaboratif. Il propose d’impliquer les apprenantes dans la conception même de leur expérience d'apprentissage : au lieu de consulter uniquement les expertes et les commanditaires, on invite également à la table celles qui vont vivre l'expérience d'apprentissage.
Cette approche de co-création présente plusieurs avantages majeurs :
Elle garantit la pertinence des contenus face aux besoins réels.
Elle renforce l'engagement dès le début du processus.
Elle crée un sentiment d'appropriation chez les participantes.
Elle permet d'identifier des angles morts que les expertes n'auraient pas vus.
Elle crée des “ambassadrices” de la formation qui pourront la promouvoir auprès de leurs collègues.
C'est un changement radical de perspective : on passe d'une conception "pour" les apprenantes à une conception "avec" elles.
Prototyper et tester : l'apprentissage par l'itération
L'un des autres principes fondamentaux du design thinking est de créer rapidement des prototypes, de les tester en conditions réelles, puis d'itérer en fonction des retours. Cette approche tranche avec la conception traditionnelle d’une formation – notamment en ligne – qui peut prendre des mois avant d'être déployée.
Dans la pratique, cela signifie :
Développer rapidement une proposition d’expérience d’apprentissage, voire des versions simplifiées d'activités ou de modules.
Les tester avec un petit groupe d'apprenantes.
Recueillir leurs retours détaillés.
Ajuster et améliorer avant le déploiement complet.
Cette approche itérative réduit considérablement les risques d'échec et permet d'affiner progressivement l'expérience d'apprentissage. Elle évite aussi ce que j'appelle "l'effet tunnel" : ces mois de développement où l'on perd contact avec la réalité des apprenantes.
Penser parcours plutôt qu'événement
Le design thinking nous pousse à considérer l'expérience d'apprentissage dans sa globalité, bien au-delà d'un simple événement ponctuel. Il nous force à réfléchir à ce qui se passe avant, pendant et après la formation.
Cette vision systémique permet de créer un véritable parcours intégrant :
Des activités préparatoires pour activer les connaissances préalables.
Des moments d'apprentissage variés et multimodaux.
Des opportunités d'application dans le contexte professionnel.
Des mécanismes de suivi et de renforcement.
Des espaces de réflexion et de retour d'expérience.
En pensant "parcours", on répond directement à l'un des écueils majeurs des formations traditionnelles : leur caractère ponctuel et déconnecté de la réalité professionnelle.
Créer des expériences, pas juste des contenus
L’un des autres apports du design thinking à la formation est son focus sur l'expérience globale plutôt que sur le simple contenu. Cette approche considère tous les aspects sensoriels, émotionnels et sociaux de l'apprentissage :
L'environnement physique ou en ligne.
Les interactions entre participantes.
Les moments informels d'échange et de réseautage.
Les émotions vécues tout au long du parcours.
La narration qui donne du sens à l'ensemble de l'expérience.
Une formation conçue avec cette perspective holistique devient naturellement plus engageante, car elle touche l'apprenante dans toutes ses dimensions.
Repenser la formation par le design
Je vous l’écrivais il y a deux semaines : le design thinking n'est pas une baguette magique, mais il offre un cadre puissant pour repenser nos approches de formation.
En plaçant les apprenantes au centre, en favorisant l'expérimentation rapide et en adoptant une vision systémique, il permet de créer des expériences d'apprentissage qui répondent vraiment aux besoins des individus comme des organisations.
Cette approche requiert certes plus d'investissement en amont, mais ses bénéfices sont considérables :
Des parcours d'apprentissage véritablement engageants.
Un meilleur transfert des compétences dans la pratique.
Une satisfaction accrue des participantes.
Un retour sur investissement nettement supérieur pour les organisations.
Au final, l'approche du design thinking en formation nous rappelle une vérité fondamentale sur le monde de la formation : nous ne concevons pas des contenus ou des programmes, nous créons des expériences humaines de transformation. Et cette transformation ne peut se produire que si nous reconsidérons radicalement notre façon de penser et de concevoir la formation.
J'espère que cet article vous a donné matière à réflexion sur l'état actuel de la formation et sur les possibilités offertes par le design thinking pour la transformer.
Si vous avez des exemples de formations particulièrement efficaces – ou particulièrement inefficaces – que vous avez vécues, je serais vraiment curieux de les découvrir. Partagez celles-ci dans les commentaires ou répondez directement à cette newsletter.
Si cet article vous a plu, vous pouvez mettre un “like” à cette édition, et surtout n'hésitez pas à le partager avec vos collègues formatrices, enseignantes ou responsables formation qui pourraient y trouver de l'inspiration. Chaque partage aide à diffuser ces idées et, qui sait, à transformer petit à petit le monde de la formation.
Cécile Dejoux lors du salon Learning Technologies 2024